mercredi 24 avril 2024
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La sécheresse et l’anarchie de la production

Voir la pluie tomber en février a rarement été un soulagement. Et pourtant, cela serait le cas aujourd’hui. En effet, pendant près d’un mois, il n’y a pas eu de pluie conséquente sur notre pays : c’est une catastrophe en termes écologiques. De l’autre côté, par deux fois cet hiver, les organismes végétaux ont souffert de la chaleur trop importante. De nombreux scientifiques alertent sur une série cataclysmique d’années très chaudes, de sécheresses, dues à la combinaison des courants chauds et du réchauffement climatique, qui accentue les phénomènes extrêmes.

Le réchauffement climatique, la destruction de la biosphère et la pénurie de matériaux font entrer notre planète dans une ère d’instabilité. Des points de non-retour sont atteints, nous sommes sortis de la « zone d’équilibre ». C’est en tous cas ce qu’expliquent la plupart des travaux scientifiques, que l’on retrouve dans la synthèse du GIEC, qui compile l’ensemble des publications scientifiques sur le climat – et aborde quelques autres phénomènes liés, comme l’acidification des océans ou la perte de surface des glaces.

Mais, alors que l’inflation bat des records, et que les catastrophes naturelles se multiplient, détruisant les récoltes et aggravant la situation, on se demande : pourquoi le gouvernement ne fait rien ? Pourquoi l’Etat soutient tout ce qui va dans le mauvais sens ?

Grâce à la combativité des masses paysannes, prolétaires et petites bourgeoises autour de la question des « mégabassines », le problème de l’eau a été abordé récemment. L’Etat soutient en effet la construction de bassines, de réservoirs d’eau, qu’on remplirait bien sûr à travers les pluies, mais surtout en allant chercher l’eau dans les nappes phréatiques. Or, ces nappes phréatiques ne se rechargent pas assez vite. La faute au manque de pluie bien sûr, qui est le phénomène central, mais aussi à l’artificialisation des sols (le béton empêche l’eau de s’infiltrer), mais aussi à la mort des sols. Les engrais, les pesticides, tuent les micro-organismes, organismes et insectes, qui font « vivre » les sols et les rendent perméables, leurs permettent d’absorber l’eau.

Dans notre système, la production n’a qu’un seul objectif, le profit. Que ce soit dans le cadre de « l’agriculture paysanne », ou les petits producteurs indépendants doivent survivre, écrasés de dettes, poussés par le besoin de payer leur loyer et de nourrir leur famille, ou dans le cadre de la grande industrie, une entreprise doit avant tout dégager un profit, de plus en plus important. En ce sens, on a favorisé la création de monocultures ; les prix ont baissé (relativement aux salaires) par la spécialisation de la production. On arrache les haies, on fait de la monoculture, et on peut produire très vite sur une grande surface. On vend, les prix baissent. Il faut donc dégager de nouveaux marchés, continuer à spécialiser pour faire face à la concurrence, etc.

Il n’y a aucune planification là-dedans. Évidemment, il n’y a aucun caractère démocratique non plus. Les populations, les masses populaires en particulier, n’ont aucun moyen d’influencer via les institutions les décisions des technocrates et politiciens, prises pour le compte des capitalistes, des monopoles du BTP ou de la grande production agricole. Il faut faire plus de profit, c’est la seule règle : sans quoi, tout ce qui fait la stabilité du système bourgeois s’écroule. Sauf que dans le cadre agricole, le profit ne passe pas par des productions en rapport avec la disponibilité de l’eau. De plus, la monoculture intensive épuise les sols, rend les espèces très fragiles face aux maladies qui se répandent très vites. Il faut donc traiter ce qui tue la faune et la flore, qui elle-même permettait de rendre les sols plus résistants et plus riches. Les sols s’assèchent, n’absorbent plus l’eau, ce qui oblige à construire des mégabassines, ce qui épuise les nappes phréatiques… ce qui tue ce qu’il reste d’arbres, de faune et de flore… c’est une course en avant perpétuelle. De la même façon, on détruit des sols en construisant des centres commerciaux sans âme, des usines produisant des choses pas forcément utiles, pour le profit. Et la biosphère, dont nous dépendons, meurt.

C’est dans ce cadre qu’ont lieu les mobilisations contre les mégabassines, qui ont mené à des affrontements entre manifestants (dont nous saluons la combativité) et policiers. En effet, ces projets de construction renforcent la « course en avant » vers la destruction des sols, qui consiste à en absorber la richesse plus vite et contrer les effets de la dévitalisation des sols… tout en l’accélérant.

Le 29 octobre, des activistes avaient affronté les forces de répression lors d’un rassemblement d’opposition au projet de mégabassine à Sainte-Soline (Deux-Sèvres). AFP/Pascal Lachenaud

Dans ces mobilisations, on voit de nombreux leaders de la « gauche » réformiste, qui veulent capitaliser à moindre frais sur une lutte qui semble faire consensus. Pourtant, c’est un piège. La lutte pour sauvegarder la biosphère a bien entendu un caractère de classe. Il n’y a que deux solutions :

  • Soit, d’un côté, tenter d’exploiter la contradiction dans la bourgeoisie entre course en avant et planification capitaliste, et essayer d’avoir un capitalisme qui « limitera la casse » (c’est-à-dire qui fera survivre l’espèce humaine)
  • Soit comprendre la nécessité de la révolution prolétarienne, du socialisme, de la planification, pour revitaliser les sols, reconstruire la biosphère (non pas spontanément, mais grâce à la main de l’homme. Le problème n’est ici pas l’action humaine en soi : c’est la production de déchets inassimilables par l’environnement et qui détruisent son équilibre, à cause de l’anarchie de la production capitaliste).

Dans les luttes contre les « grands projets inutiles », on voit très nettement se dessiner une fracture de classe entre d’un côté les mouvements réformistes, principalement portés par la petite bourgeoise locale qui veut préserver son mode de vie – une société qui, au fond, lui convient si elle en reste là -, et une jeunesse turbulente, souvent d’origine prolétaire, liée aux mouvements libertaires – et, de plus en plus, aux mouvements anti-opportunistes. C’est cette jeunesse, rejointe par les milieux paysans locaux, qui affronte la police. Cette jeunesse ne cherche pas à aménager la société, à « décarboner l’économie » pour tenter de retarder l’échéance, à trouver des portes de sortie basée sur l’exploitation toujours plus violente du prolétariat.

Cette jeunesse a bien compris : ce sera la révolution ou la barbarie. Les réformistes tentent de nous enfumer avec leurs réformes. Mais la bourgeoisie utilisera des armes bien avant de concéder des réformes ambitieuses ! Car, derrière, il y a la crise générale de l’impérialisme et le spectre du repartage du monde. La bourgeoisie doit s’armer et s’équiper, militariser la société, pour les guerres à venir. Des victoires locales sont bien entendu possibles, car l’Etat préfère généralement la paix sociale à l’affrontement général, qui met en cause son existence même. Mais en général, il n’y a rien à attendre des élus, des programmes réformistes même « radicaux ».

Nous devons donc poser la question du Pouvoir et de la planification. Il faut le pouvoir à la classe ouvrière, classe sociale qui transforme la matière. Seule la classe ouvrière peut décider de rompre avec la logique du profit, créer une culture nouvelle, une société nouvelle, où les liens entre humanité et nature seront reconstruits. Le marxisme l’a compris depuis sa genèse, car Marx et Engels voyaient déjà l’épuisement de la terre, les pollutions et la contradiction ville-campagne. Il nous faut également la planification, car nous devront faire face à des phénomènes de plus en plus extrêmes, des canicules, des inondations, des gels tardifs. Il ne faut pas compter uniquement sur le local. Le mot d’ordre est simple : centralisation stratégique, décentralisation tactique. Cela veut dire : produire autant que possible localement, mais dans un cadre planifié, ou l’on sait que l’on peut, en cas de besoin, transporter les surplus, de nourriture, d’énergie ou de matériaux.

Le capitalisme ne peut pas le faire, dans sa course au profit. L’anarchisme ne propose que des Zone à Défendre (ZAD) locales, qui seront anéanties par les forces de répression ou les phénomènes climatiques intenses – si ce n’est par les secousses sociales trop fortes. Le réformisme n’a aucun sens, car il ne comprend pas qu’il sera par essence moins fort qu’une bourgeoisie qui ne peut plus rien lâcher dans le contexte actuel. Il n’y a qu’une solution : le socialisme, le pouvoir à la classe ouvrière, la planification et la compréhension scientifique du lien entre humanité et nature, permettant à la fois de relocaliser la production et de centraliser au maximum les connaissances, les surplus, pour savoir faire face aux phénomènes globaux.

La lutte contre les mégabassines, la lutte contre la ligne de LGV Lyon-Turin, la lutte contre les projets destructeurs qui anéantissent la paysannerie et n’offrent aux ouvriers que toujours plus d’exploitation, doivent être des luttes qui permettent de « limiter la casse », bien sûr, mais surtout politisent les masses, les organisent et posent la question du Pouvoir et la Révolution.

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