jeudi 28 mars 2024
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Le capital, la biosphère et l’inflation

Le marxisme expose dès le XIXe siècle deux idées d’importance capitale pour comprendre la situation actuelle : « le capital produit de manière anarchique » et « le capital épuise les deux sources de la richesse ; le travailleur et la terre ». Dans la conception marxiste de l’économie, la richesse matérielle est d’abord fournie gratuitement par la nature, puis transformée par les travailleurs. C’est également l’opinion des grands penseurs classiques comme le portugais David Ricardo ou l’écossais Adam Smith.

Si l’on regarde attentivement, le capitalisme repose sur le secteur primaire, c’est-à-dire le secteur du prélèvement de la richesse de la terre. Toutes les ressources sont, en soi, renouvelables. Certaines comme le pétrole, se renouvellent en un temps qui dépasse l’existence actuelle de la civilisation humaine. D’autres, heureusement, se renouvellent régulièrement comme les plantes qui nous servent de nourriture. Toute l’économie repose sur ces matériaux, qui sont ensuite transformés et utilisés par l’humanité pour produire et consommer. Or, c’est dans ce secteur que la crise s’exprime avec le plus de force.

Karl Marx nous explique également comment fonctionne la loi de la valeur : c’est le temps de travail nécessaire en moyenne à la production d’un produit qui détermine la valeur d’un objet. Le temps de travail nécessaire à la production du produit fini, mais également le temps de travail de toutes les étapes de la production. Un tronc d’arbre vaut le temps de travail moyen nécessaire à l’abattre et le transporter jusqu’au marché ; une planche vaut le temps de travail nécessaire à cette opération plus le temps de découpe des planches ; enfin, un meuble vaut ces deux temps de travail, le temps de transport et le temps nécessaire à la découpe et au montage des planches, à la production des vis, des colles, des vernis, et au montage du meuble. Grâce à Karl Marx, nous avons toutes les clefs pour comprendre l’inflation.

Le premier aspect de l’inflation, celui qui doit être considéré comme capital, c’est l’aspect politique. Les états bourgeois font payer le prix du « quoi qu’il en coûte » aux masses populaires. En 2020, les états et banques centrales ont imprimés des quantités impressionnantes de monnaie. Or, la monnaie est le « miroir » du travail, de la valeur des marchandises réellement en circulation. Dans le même temps, le PIB a reculé dans de nombreux pays, c’est-à-dire que le nombre de marchandises en circulation a baissé. Les économistes bourgeois ont beau répéter que « c’est plus compliqué que ça » et que « depuis 2008 on imprime énormément de monnaie, ça n’est pas la cause de l’inflation », l’équation est simple : la monnaie a été imprimée en masse depuis 2008 aux Etats Unis, depuis 2015 en Europe. Lorsque la confiance en la monnaie s’effondre, la valeur de la monnaie se corrige ; elle s’effondre, c’est l’inflation.

De plus, il faut comprendre que la monnaie, c’est de la dette. L’inflation, c’est faire pression sur la valeur de la dette, c’est faire baisser la dette : c’est donc faire payer aux masses la dette. Les prix montent, car tous les états sont endettés jusqu’au cou et doivent rembourser, or, ils ne le peuvent pas. Les oligarchies financières ne veulent pas de défaut de paiement, mais ne veulent pas non plus l’effondrement des Etats bourgeois. Alors, main dans la main, ils organisent l’inflation, une manière de faire payer la crise aux masses. La hausse des prix oblige les ouvriers, dans le monde, a travailler plus, a se faire plus exploiter ; la classe ouvrière paye double l’inflation.

De plus, notre monde connait un double phénomène : celui du dérèglement climatique, et celui de l’épuisement des sources facile d’accès de gaz et de pétrole. Le pétrole est l’énergie qui permet le transport de masse : on peut produire beaucoup d’énergie avec peu de pétrole, stocké dans un réservoir. Or, l’extraction du pétrole est de moins en moins rentable : alors qu’il y a 40 ans, un litre de pétrole permettait d’en extraire 30, aujourd’hui, pour le pétrole dit « de schiste » qui permettent de maintenir le niveau d’extraction de pétrole, ¼ de la production est utilisée pour reproduire. Les machines doivent descendre tellement profond dans la terre, le système logistique est tellement immense, qu’il faut ¼ du pétrole extrait pour réaliser les opérations le rendant disponible à la consommation. Sa rentabilité chute donc terriblement.

De plus, selon de nombreux scientifiques, le « pic » de pétrole est atteint : c’est-à-dire que l’on ne pourra jamais extraire plus de pétrole chaque année. Or, le pétrole est la base du capitalisme, c’est l’énergie qui permet le transport de masse. Le pétrole permet aussi de produire de nombreux engrais, d’alimenter des machines qui augmentent la productivité de l’agriculture, des mines, de la pêche… Si l’affrontement entre nations opprimés et impérialistes est le cœur de l’histoire, le cœur de notre époque, c’est parce que le pillage des ressources des nations opprimés est le cœur, la base du système capitaliste. Mais cette hausse du prix du pétrole n’explique pas tout. Les prix oscillent normalement autour de la valeur. Mais en période de crise, les prix oscillent de manière plus forte. L’anarchie de la production capitaliste ne permet pas de savoir : va-t-on devoir se passer de pétrole ? Ou, au contraire, va-t-on découvrir de nouvelles réserves ? Rien n’est organisé, rien n’est planifié, les états changent de politique énergétique comme de chemise. Et toute la production capitaliste, dominée par les grands monopoles concurrents, est de cet acabit. Quand Macron dit un jour « il faut rouvrir notre central à charbon » puis le lendemain « le charbon doit être éradiqué », il exprime parfaitement cette anarchie de la production. Les investisseurs ne savent pas a quel saint se vouer, les prix plongent ou s’envolent, l’anarchie de la production capitaliste renforce les tendances déjà existantes, et les masses paient encore plus cher.

Un autre problème, c’est que les ressources minières s’épuisent également, où, du moins, ne suffisent plus à suivre la hausse de la demande, en particulier dans le numérique (téléphones, ordinateurs, serveurs, électronique de voiture ou d’équipements ménagers…). Et la hausse de l’extraction est très polluante ; il faut affronter l’opposition des populations et renforcer le réchauffement climatique. Or, ce réchauffement climatique provoque un bouleversement de l’agriculture. Les gouvernements bourgeois doivent impérativement limiter ce réchauffement sous peine de scier la branche sur laquelle ils sont assis. C’est en ce sens qu’ils sont obligés de limiter certaines productions, même si en général ils cherchent à faire payer les masses pour garder leur confort. Chaque économie faite par les masses peut être dépensée par les grands bourgeois, dans leur jet privé, dans leurs avions pour partir à l’autre bout du monde plusieurs fois par an, dans leurs entreprises ou ils enferment et exploitent les masses.

Le dernier, c’est le réchauffement climatique impact aussi la valeur des produits. Depuis cinq ans, les cultures sont mauvaises. Cela veut dire que, en moyenne, les travailleurs de l’agriculture passent autant de temps à travailler (si ce n’est plus) pour produire moins. Les incendies également font hausser, nécessairement, la valeur des choses. Les monocultures, comme l’eucalyptus au Portugal, les pins dans les Landes, etc, favorisent les incendies ; lorsqu’une partie de la culture brule, c’est le temps moyen de production qui hausse, cela veut dire qu’au final, on produit moins avec autant de travail. La valeur des produits hausse.

Or, nous l’avons vu, la hausse de la valeur des produits du secteur primaire fait hausser l’ensemble des prix, car cette valeur est contenue dans l’ensemble des produits que nous consommons ; l’ensemble des prix augmentent.

Dans les années 1930, l’Internationale Communiste définissait la crise générale par la crise de surproduction, qui amène à une destruction des forces productives, donc a une baisse de la production. Nous y sommes, si l’on regarde la structure de nos économies et les reculs du PIB.

Un dernier aspect de l’inflation, c’est la tendance à la guerre. C’est le plus important. En effet, la matière est illimitée et l’humanité peut lutter et créer l’abondance pour tous de manière politique. Il y a donc la tendance à la guerre pour le repartage du monde. Dans ce contexte de crise, chaque pays veut obtenir les ressources au plus bas prix sous la pression des monopoles.

La tendance à la baisse du profit et à la baisse de la production, pousse les impérialistes à entrer en concurrence et même en guerre les uns contre les autres, comme c’est le cas en Ukraine (ou la Russie tente de résoudre sa crise interne par l’expansion, et ou l’impérialisme US tente d’épuiser la Russie pour la dépecer), mais aussi en Arménie (ou les intérêts Français et Russes affrontent les intérêts Turcs, tensions que nous retrouvons en Grèce ou la France affronte indirectement la Turquie, avec derrière l’impérialisme US). Ces guerres détruisent des pans entiers des forces productives ; une immense partie de la production de blé mondiale en Russie et en Ukraine est détruite faute de pouvoir être consommée, ou tout simplement directement à cause des ravages de la guerre. Une partie de l’électricité ne peut être produite, etc. Cela rend plus difficile l’approvisionnement et provoque des oscillations à la hausse des prix, qui touchent frontalement les masses et rétablissent le profit des capitalistes.

Résumons : il faut toujours plus de travail pour extraire toujours moins de ressources agricoles, minières, ou pour produire de l’énergie. La valeur des matières premières, de la « base » de la pyramide de la production capitaliste qui entrent dans la valeur de tout ce qui est consommé dans le monde, hausse. Et tous les prix ne font qu’osciller autour de la valeur. Si la valeur des matières premières augmente, tous les prix augmentent, que ce soit l’aide à domicile, la restauration, le bâtiment… car tous ces secteurs utilisent ces matières premières d’une façon ou d’une autre. De plus, l’anarchie de la production capitaliste et la crise de la dette renforcent ces tendances. Cet aspect politique est même principal, car c’est l’organisation de la production qui est la cause et s’exprime dans cette crise.

Les capitalistes tentent de lutter contre l’inflation pour maintenir le consensus social. Signe d’une crise politique majeur : « La loi fondamentale de la révolution, confirmée par toutes les révolutions et notamment par les trois révolutions russes du XX° siècle, la voici : pour que la révolution ait lieu, il ne suffit pas que les masses exploitées et opprimées prennent conscience de l’impossibilité de vivre comme autrefois et réclament des changements. Pour que la révolution ait lieu, il faut que les exploiteurs ne puissent pas vivre et gouverner comme autrefois. C’est seulement lorsque « ceux d’en bas » ne veulent plus et que « ceux d’en-haut » ne peuvent plus continuer de vivre à l’ancienne manière, c’est alors seulement que la révolution peut triompher. »

Pour reprendre l’expression du commentateur bourgeois de la crise de l’énergie Jean Marc Jancovici, « les arbitrages vont être de plus en plus difficiles ». Les produits sont plus chers à produire, la population est plus nombreuse. Tant que la production augmentait, la pression toujours croissante de l’impérialisme sur la vie des masses était compensée par la hausse du « niveau de vie », c’est-à-dire du nombre de marchandises consommés. Même si cette notion est contestable (vit on mieux avec une voiture, des cancers plus nombreux, de la malbouffe, des difficultés de chauffage, des services publics en déliquescence, des villes-dortoirs, des zones périurbaines et des zones commerciales asphyxiant la nature ?), cette hausse permettait d’augmenter la richesse, donc de « compenser » en partie, dans les pays impérialistes (car dans les pays opprimés c’est la misère absolue), la concentration toujours croissantes des richesses entre quelques mains. Cette période est terminée. Les artifices des capitalistes, la monnaie gratuite, tout cela n’existe plus. Il n’y a plus d’alternative : nous entrons dans une période de lutte de classe aigue.

Il est évident que nous pouvons vivre bien mieux avec les contraintes, produire plus sans épuiser la terre et les travailleurs, car la matière est illimitée. Dans le capitalisme, toute solution « technique » ne peut qu’empirer le problème ; sous le socialisme, nous pouvons libérer les forces productives en rapprochant l’humanité et la nature. Par exemple, la monoculture favorise les incendies donc fait exploser les prix et atrophie la biodiversité ; s’appuyer sur la nature peut dans ce cas permettrait de ne pas perdre une partie de la production, donc de hausser la productivité sans hausser le temps de travail. Le socialisme doit permettre de produire plus, mieux, et ce dans tous les domaines, de permettre l’abondance dans un monde ou les contraintes augmentent. Mais pour cela, il faut une société où l’oligarchie financière ne dirige pas, en particulier à travers la dette ; ou l’état n’est pas un outil de la bourgeoisie, et où la société, la production, sont réorganisés entièrement par et pour la classe ouvrière.

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