AccueilInternationalLe « progressisme » est-il devenu un outil de l'impérialisme ?

Le « progressisme » est-il devenu un outil de l’impérialisme ?

Cela n’a pas pu vous échapper : tout au long du mois de juin, des grandes entreprises, des agences gouvernementales, des politiciens et de nombreux médias ont mis en avant le mouvement LGBT, notamment en partageant le drapeau arc-en-ciel. Lors de l’affaire George Floyd, de nombreuses multinationales s’étaient également « engagées » contre le racisme. Quant à la cause environnementale, on ne compte plus les entreprises qui revendiquent défendre la planète.

À l’ensemble de ces causes (LGBT, féminisme, anti-racisme, écologie), on colle généralement l’étiquette de « progressisme ». Aujourd’hui, ce mot revendiqué à tort et à travers par des groupes radicalement différents et aux intérêts souvent contradictoires, a perdu son sens. Le progressisme, originellement, c’est la défense du progrès social principalement. Lutter pour ce qui améliore les conditions de vie des larges masses populaires, c’est progressiste. Pour autant, ces dernières années, le terme a été revendiqué à tort et à travers par des pans de la population qui n’améliorent en rien les conditions de vie des masses. Aujourd’hui, Emmanuel Macron se revendique lui-même progressiste, et pour caricaturer, le débat médiatique autour du sujet semble opposer d’un côté les « progressistes » qui arborent des drapeaux LGBT et disent « Black Lives Matter » et de l’autre les « réactionnaires » qui refusent l’extension des droits des personnes LGBT et s’opposent au mouvement Black Lives Matter. Nous le voyons, le débat médiatique autour de ces enjeux occulte désormais totalement les questions centrales des conditions de travail, de salaires, de logement, d’études, etc.

Là se trouve un aspect particulièrement pernicieux de la réactionnarisation. Que ce soit les macronistes qui affirment à tort et à travers soutenir la communauté LGBT ou l’extrême droite qui la considère comme une menace contre la famille traditionnelle, tous sont particulièrement satisfaits de voir la question occulter du débat public les questions sociales. L’extrême droite, qui revendique représenter le « peuple d’en bas » a, dans le champ médiatique, un rôle consistant précisément à détourner le « peuple d’en bas » des sujets qui le touchent au quotidien, en premier lieu desquels les conditions de vie et de travail. Que ce soit en stigmatisant la communauté musulmane ou en mettant en lumière une énième stupidité dite par une personnalité « de gauche », l’extrême droite joue donc parfaitement son rôle de détourneuse d’attention.



L’opposition progressistes – réactionnaires : un enjeu géopolitique

Mais l’opposition entre progressisme (entendu ici comme la défense hypocrite et intéressée des minorités ethniques et sexuelles) et réaction (entendue ici comme l’opposition aux droits de ces minorités) ne se joue pas uniquement à l’échelle de la France. En effet, depuis plusieurs années, c’est devenu un enjeu géopolitique entre les grandes puissances impérialistes.

En juin dernier, le gouvernement hongrois a décidé d’interdire la « promotion de l’homosexualité ou du changement de sexe auprès des mineurs ». Cette loi, portée par le gouvernement réactionnaire de Viktor Orban, n’a pas manqué de faire réagir les grandes puissances de l’Ouest de l’Europe, qui souhaitent désormais que l’Union Européenne prenne des sanctions à l’égard de la Hongrie.

Bien-sûr, du côté de l’Union Européenne comme du côté de la Hongrie, cela n’est pas anodin. D’un côté, Viktor Orban cherche à contenter son électorat conservateur, mais surtout à rapprocher son pays de l’impérialisme russe. De l’autre, l’Union Européenne, alliance impérialiste bénéficiant en premier lieu aux grandes puissances de l’Ouest, en tête desquelles l’Allemagne, cherche à maintenir la Hongrie dans son giron afin de ne pas laisser filer le pays dans les bras de la Russie. La polémique autour de l’illumination du stade de Munich aux couleurs LGBT lors du match Allemagne – Hongrie lors de l’Euro de football, avait précisément vocation à préparer l’opinion publique européenne à la mise en place de sanctions contre le pays. Dans cette affaire, la politique anti-LGBT de la Hongrie n’est évidemment qu’un prétexte pour une Union Européenne craignant de se faire dépasser par les impérialistes russes et chinois. En effet, la vraie raison des sanctions à venir à l’encontre de la Hongrie est le rapprochement significatif du pays avec la Russie, en témoignent les importantes livraisons de vaccins russes contre le Covid-19, ayant permis à la Hongrie d’être au cours de l’été un des pays les plus avancés de l’Union Européenne en terme de vaccination. L’Union Européenne, qui misait sur une campagne de vaccination coordonnée à l’échelle de toute l’Union, est furieuse de voir un de ses membres contracter avec une puissance ennemie. Alors, la politique réactionnaire menée par Viktor Orban sur les questions LGBT est tout naturellement le prétexte parfait pour sensibiliser l’opinion publique à la nécessité de punir la vilaine Hongrie pour sa proximité avec la Russie.

Vladimir Poutine et Viktor Orban



Une politique du « deux poids, deux mesures »

Bien-sûr, la politique menée par les puissances impérialistes occidentales sur le sujet est différenciée selon les cas : c’est le fameux « deux poids, deux mesures ». À peine arrivé au pouvoir, le nouveau Président états-unien Joe Biden a demandé aux agences américaines présentes à l’étranger de « dresser un plan d’action pour promouvoir les droits des personnes LGBTQI+ dans le monde ». C’est l’avènement de la diplomatie LGBT, et pourquoi pas des coups d’État aux couleurs arc-en-ciel. Bien évidemment, cette diplomatie LGBT ne concerne pas tous les pays : imagine-t-on les États-Unis rompre des accords économiques avec l’Arabie Saoudite en raison de la peine de mort appliquée aux LGBT dans le pays ? Non, et pour cause, les bonnes relations avec l’Arabie Saoudite présentent un enjeu de premier ordre pour les États-Unis. D’abord car l’Arabie Saoudite, en bon larbin de l’impérialisme états-unien, s’occupe depuis des années de faire le « sale boulot » à la place de l’armée états-unienne au Moyen-Orient, en témoigne l’opération militaire au Yemen. En suite car la capacité à importer du pétrole saoudien présente un enjeu économique considérable pour les États-Unis. Ainsi, si Barack Obama avait en 2014 sanctionné l’Ouganda pour ses lois anti homosexuels, en retirant au pays son statut commercial préférentiel, il est évident que Joe Biden n’en fera pas de même avec l’Arabie Saoudite. Pour ce qui est de la Turquie, l’impérialisme états-unien applique un entre-deux : si le pays est historiquement un larbin appliquant les plans de l’OTAN (et donc des États-Unis) au Moyen-Orient, ces dernières années, le rapprochement entre Erdogan et Poutine fait craindre aux États-Unis un renversement de la diplomatie turque et la possibilité de voir le pays quitter la tutelle impérialiste états-unienne. Ainsi, en février dernier, le porte parole du département d’État des États-Unis avait critiqué la Turquie pour les sorties LGBTphobes du Président Erdogan. Nous le voyons donc, si un pays comme l’Ouganda est immédiatement sanctionné, la Turquie est seulement la cible de remontrances qui sonnent comme un rappel à l’ordre suite au rapprochement du pays avec la Russie.

Les ONG, relais des plans impérialistes

Dans leur « diplomatie LGBT », les grandes puissances impérialistes occidentales s’appuient également sur des ONG de défense des droits des personnes LGBT. Ainsi, le « fonds droits de l’Homme, orientation sexuelle et identité de genre » financé par les ministères des affaires étrangères de France et de Norvège, le département d’État des États-Unis ainsi que les ambassades du Royaume-Uni et des Pays-Bas en France, vise à « soutenir des actions, à travers le monde, pour la réalisation des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels de personnes victimes de discrimination en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité et/ou expression de genre ». Ce fonds, créé sous l’impulsion de la France en 2009 et qui apporte son soutien à différentes ONG de défense des personnes LGBT, est un exemple criant de la manière dont les ONG se retrouvent – parfois sans le vouloir ou sans en avoir conscience – à appliquer les plans des puissances impérialistes. En effet, en finançant et en contrôlant l’activisme LGBT dans de nombreux pays, les puissances impérialistes occidentales s’assurent un pied dans ces pays et la possibilité d’utiliser la cause LGBT à des fins géopolitiques, comme nous l’avons vu plus haut avec le cas de l’Ouganda ou de la Hongrie. C’est la raison pour laquelle la CIA annonce officiellement son soutien à la Pride.

Bien-sûr, il n’y a pas que les États qui instrumentalisent la cause LGBT dans le cadre de leurs plans impérialistes. Les grandes entreprises en font de même et intègrent parfaitement leur communication « LGBT friendly » dans le cadre des grandes campagnes impérialistes des États occidentaux. Ainsi, nous avons encore pu le voir au mois de juin (mois des fiertés) avec de très nombreuses entreprises qui ont mis en avant le drapeau arc-en-ciel dans leur communication. Ce fut le cas de Google, Facebook, Uber, Starbucks, IBM, BMW, Volkswagen, Siemens, Allianz, Bayer, Air France, Renault, et bien d’autres. Pour ces entreprises, l’enjeu est double : mettre en avant l’inclusivité comme valeur du monde occidental et ainsi contribuer à en faire un élément de légitimation de l’impérialisme et gagner de nouveaux clients en s’achetant une image progressiste à peu de frais. Autrement dit, si sur la scène internationale l’impérialisme russe cherche à se positionner en défenseur de la famille traditionnelle, pour les puissances impérialistes occidentales, c’est tout l’inverse, puisqu’elles tendent de plus en plus à se revendiquer protectrices des droits des minorités. En mettant en avant la cause LGBT, les grandes entreprises cherchent à défendre l’idée que les « valeurs occidentales de liberté et d’inclusion » sont parfaitement en phase avec l’esprit du capitalisme. Bien-sûr, cela est de l’hypocrisie pure, comme nous avons pu le voir avec Renault qui a mis son logo Twitter aux couleurs LGBT partout sauf dans les pays musulmans ainsi qu’en Russie. Pour une entreprise comme Renault, l’objectif n’est en effet pas d’aller gagner des clients « progressistes » en Russie, mais bien d’appuyer l’impérialisme français qui justifie son impérialisme par la défense des droits de l’Homme, comme il le faisait il y a cent ans en mettant en avant sa prétendue mission civilisatrice.


L’environnement, un autre prétexte aux manœuvres impérialistes

Si la cause LGBT est le sujet sur lequel ces manœuvres impérialistes sont les plus grossières, ce n’est pour autant pas le seul sur lequel elles se manifestent. En effet, l’environnement est également de plus en plus utilisé comme prétexte à une image positive de l’impérialisme. Les grandes puissances, qui détruisent la planète pour le profit, mettent de plus en plus en avant la nécessité de protéger l’environnement, avec une hypocrisie immense. Nous avons pu le voir lors des différentes COP au cours desquelles les grandes puissances ont imposé aux pays dominés des objectifs d’émissions de gaz à effets de serre, objectifs que les grandes puissances n’ont jamais respectés. Plus la destruction de la planète s’accélère, plus les masses s’en indignent, et plus les grandes puissances renforcent leur tutelle sur les peuples du monde avec l’utilisation de labels verts et de discours sur la protection de l’environnement. Dans le même temps les industries polluantes sont délocalisées pour s’affranchir des normes écologiques adoptées dans les pays impérialistes, ainsi l’impérialisme accroît la destruction de l’environnement en même temps que sa domination sur les pays dits en voie de développement. Là dessus aussi les ONG sont bien souvent un relais de ces plans impérialistes.

Une petite bourgeoisie intersectionnelle complice des plans impérialistes

Dans les pays impérialistes, les mouvements petits bourgeois intersectionnels, en reprenant à leur compte la communication pseudo-progressiste des multinationales et des États, se font les complices de cet impérialisme sous drapeau vert ou LGBT. En mars dernier, la CIA a publié sur YouTube une vidéo d’une de ses membres portant un t-shirt féministe et affirmant ouvertement être intersectionnelle. Reprenant à son compte le discours qu’on peut entendre dans la bouche de n’importe quel militant intersectionnel, cette membre de la CIA justifie sa place au sein de l’institution qui organise des coups d’État aux quatre coins du monde et arme des groupes génocidaires pour déstabiliser les régimes récalcitrants à leur domination. Cette évolution dans la communication de la CIA est somme toutes logique : depuis des décennies, toute la politique extérieure des États-Unis a pour justification principale la défense de « la démocratie et des droits de l’Homme », bien-sûr à grands renforts de drones d’attaque, de chars d’assaut, et de frappes aériennes tuant chaque année de très nombreuses personnes à travers le monde. En posant les droits des LGBT comme élément cardinal permettant de jauger si un régime est respectable ou non, les intersectionnels petits bourgeois tombent dans le piège tendu par l’impérialisme pour qui les droits des LGBT ne sont qu’un prétexte et non une réelle cause à défendre sincèrement.

Sur ce sujet comme sur les autres, il s’agit en réalité d’une guerre idéologique : l’impérialisme dans sa crise tente de légitimer son pouvoir par tous les moyens, par la force comme par la persuasion. Dans notre monde ce n’est pas l’orientation sexuelle ou l’appartenance ethnique qui distingue le plus les individus, mais la classe, et la plus grande bataille est celle qui oppose une poignée d’exploiteurs à l’immense majorité de l’humanité. Les idées politiques ne sont que le reflet de cette réalité et celles qui tentent de masquer l’exploitation des travailleurs et le pillage des pays opprimés par les multinationales n’ont rien de progressiste. Sous le chantage de la lutte contre l’oppression ou de l’urgence climatique, l’impérialisme mène une vaste offensive idéologique réactionnaire.

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