Ce 19 décembre 2023, les députés et sénateurs se sont mis d’accord sur la « loi immigration » : elle représente un nouveau pas dans le processus de réactionnarisation qui, comme nous allons le voir, pave inévitablement la voie au fascisme.
Le fascisme, à tort, est très souvent réduit à la violence étatique, alors que de fait l’État est un instrument de répression au service de la classe qui le contrôle. L’État bourgeois – de tout temps, à jamais – est violent, et son processus de développement, réagissant aux crises du capitalisme, mène au fascisme dont la base de l’organisation sociale est le corporatisme. Ce processus ne peut être stoppé que par l’intervention déterminée du prolétariat organisé, menant quant à lui le processus opposé : celui de la révolution socialiste. Chaque processus est une unité de contraires se nourrissant l’un et l’autre.
La France a connu une seule période de fascisme, qui a été intimement liée à la défaite honteuse face à l’Allemagne nazie en 1940. A ce moment précis, le prolétariat et les forces démocratiques étaient écrasées sous le poids de la répression (menée par le gouvernement républicain, en premier lieu dès 1939) et de la défaite. L’État français dirigé par la honte nationale Philippe Pétain a été l’exemple vivant d’un État fasciste de type corporatiste. Philippe Pétain, dans son discours du 1er mai 1941 jetant les bases du nouvel État, explique très clairement ce qu’est la corporatisation :
« Abandonnant tout ensemble le principe de l’individu isolé devant l’État et la pratique des coalitions ouvrières et patronales dressées les unes contre les autres, il (l’ordre nouveau corporatiste) institue des groupements comprenant tous les membres d’un même métier : patrons, techniciens, ouvriers. Le centre du groupement n’est donc plus la classe sociale, patronale ou ouvrière, mais l’intérêt commun de tous ceux qui participent à une même entreprise. Le bon sens indique, en effet, – lorsqu’il n’est pas obscurci par la passion ou par la chimère – que l’intérêt primordial, essentiel, des membres d’un même métier, c’est la prospérité réelle de ce métier » (Philippe Pétain, 1er mai 1941)
Ce corporatisme, c’est donc la négation de la lutte des classes, le découpage de la société en corps soumis directement à l’État. Tout le monde dépend directement de l’État. C’est une tentative de nier la lutte des classes par la « négociation » entre les différents corps de la société. Il n’y a plus de patrons et d’ouvriers en lutte, mais des groupements qui auraient les mêmes intérêts qu’il faudrait défendre collectivement. C’est le rêve pieux des bourgeois de régler la contradiction de la société de classe, celle entre le travail et le capital, celle qui fait qu’entre le patron et les ouvriers les intérêts sont absolument antagoniques.
Nous avons l’aspect économique du fascisme, c’est la base, c’est cela qui définit si une société est fasciste ou non. C’est pour cela que nous pouvons dire qu’aujourd’hui dans le monde les États fascistes sont notamment les ex-pays socialistes devenus révisionnistes (c’est-à-dire anti-communistes) comme la Chine, la Corée du Nord, le Vietnam, mais aussi le Laos ; nous pouvons rajouter à cette liste le Venezuela Bolivarien, dont la tendance est à la corporatisation.
Le fascisme a bien entendu d’autres aspects, c’est ce que relève le Président Gonzalo (Chef du Parti Communiste du Pérou et de la révolution péruvienne) dans L’interview du siècle, où il nous dit que « c’est la négation des principes démocratico-libéraux ; c’est la négation des principes démocratico-bourgeois qui sont nés et se sont développés au 18ème siècle en France. » Un des principes fondamentaux de la démocratie bourgeoise, c’est celui de l’égalité entre tous les individus, sans distinction d’ethnique ou religieuse.
La loi immigration renforce donc la corporatisation de la société entre français et étrangers, elle nie les fondements de l’idéologie bourgeoisie dont l’égalité est un des piliers. Il faut noter que l’offensive réactionnaire continue sur « les immigrés », les français musulmans, et vise à tenter d’empêcher la recomposition de la classe en soi, en classe pour soi. L’interdiction totale de manifester son soutien à la Palestine après l’offensive du 7 octobre a violé directement les lois fondamentales de la République, c’est un signe inquiétant du processus de réactionnarisation qui se normalise.
La production n’échappe pas à cela : elle est même la base de la corporatisation, c’est le souhait des monopoles, d’atomiser toujours plus la classe, de soumettre l’ouvrier toujours plus aux intérêts du patron. C’était le cœur de la loi El Khomri, qui là aussi était une rupture paradigmatique, et fut un pas de plus dans la corporatisation. Cette loi visait « à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs » ; le texte avait pour objectif de réformer le Code du Travail afin de « protéger les salariés, favoriser l’embauche, et donner plus de marges de manœuvre à la négociation en entreprise ». La clé de ce projet était de déplacer la négociation collective, de la vider de sa substance en donnant la primauté à l’accord d’entreprise au détriment des accords de branche, le tout en contournant les syndicats. Jusqu’à cette loi, les modifications du contrat de travail découlant d’un accord d’entreprise devaient être acceptées par le salarié via un avenant, le gouvernement a ici voulu instaurer un « principe général de primauté de l’accord d’entreprise sur le contrat de travail ». Cela signifie que l’ouvrier est toujours plus lié aux intérêts du patron – à partir de là, nous pouvons imaginer qu’idéologiquement le patronat veut que son intérêt « devienne » celui de l’ouvrier, comme si il y avait un « intérêt commun ». Le développement de ce processus est conforme à la définition du corporatisme éditée par « l’État français » vichyssois. Force est de constater que face à l’offensive réactionnaire de ces 30 dernières années, les directions syndicales ont joué à fond le jeu de la bourgeoisie en acceptant la négociation comme base de rapport avec le patronat, en défendant les intérêts de certains secteurs avec un esprit corporatiste, en désarmant l’ouvrier idéologiquement, en le laissant seul face à la loi du profit.
Ce processus ne peut que s’intensifier, se développer en profondeur, créant une société basée sur la terreur diffuse, l’atomisation des exploités face à la dictature des monopoles. Ce processus mène inévitablement à une société de type fasciste, et peu importe qu’il y ait des élections, des partis politiques prétendument différents, un parlement ou autre.
Il est à ce niveau important de comprendre la différence entre le gouvernement et l’État pour bien saisir le fond du problème. Le Président Gonzalo nous dit qu’il faut « établir une différence entre système de l’État et système de gouvernement qui sont les deux parties d’une unité ; le premier représente la place qu’occupent les classes à l’intérieur de l’État et le deuxième la façon selon laquelle s’organise le Pouvoir, comme nous l’a enseigné le Président Mao, qui souligne que l’essentiel est de définir le caractère de classe d’un État, car les formes de gouvernement que l’on introduit peuvent être civiles ou militaires, avec des élections ou de facto, démocrate-libérales ou fascistes et que toutes représenteront toujours la dictature des classes réactionnaires. »
Le Président Gonzalo poursuit en nous disant que « si l’on ne considère pas ainsi l’ancien État on commet l”erreur d’identifier dictature avec régime militaire et de penser qu’un gouvernement civil n’est pas une dictature ; ainsi, l’on se met à la traîne de l’une des factions de la grande bourgeoisie sous prétexte de « défendre la démocratie », ou bien de « prendre garde au coup d’État militaire ».
Il est donc évident que l’enjeu de l’Époque n’est pas entre démocratie bourgeoise et fascisme, car les deux représentent une forme de la dictature du capital, mais bien entre capitalisme ou socialisme. La question est donc de savoir à chaque instant ce qui fait reculer l’un et avancer l’autre. Sans cela, on ne peut comprendre le pacte Molotov-Ribbentrop, et plus largement on ne comprend rien à la finesse du développement du processus révolutionnaire, qui est tout sauf linéaire.
Quoi qu’il en soit, aujourd’hui l’accentuation de la réactionnarisation ne peut qu’entraver toute politique révolutionnaire si elle n’est pas efficacement contrée. Contrer un processus aussi profond et puissant, à l’heure où les forces populaires sont très faibles, où la classe est désorganisée, déconscientisée, cela signifie avant tout s’en servir pour renforcer le processus opposée à la réactionnarisation qui est celui de la révolution socialiste. La nécessité absolue est de lutter en portant l’intérêt de toute la classe indépendamment des origines, de l’ethnie, de la religion, de la langue, etc. C’est partir du principe que celui qui travaille en France fait partie du prolétariat de France et partage les mêmes intérêts. C’est bien entendu saisir que toutes ces lois touchant les plus exploités sont le préambule à d’autres touchant toute la classe. Il est évident que porter l’internationalisme à l’heure du « repli national » est aussi un vecteur profond contre la réactionnarisation. La corporatisation peut apparaître comme étant « de gauche ». Il est pour cela important de porter la ligne de classe dans les syndicats, de lutter pour la classe et non pas seulement pour sa « branche ». Porter dans la CGT l’unité de la classe est donc une nécessité vitale pour bloquer l’atomisation et la corporatisation.
Plus important que tout : il faut vivre et prendre chaque attaque comme le moyen de montrer au prolétariat que la seule réponse n’est pas l’abattement, le fatalisme ou la peur mais la combativité, l’anti-opportunisme et la défense absolue des principes.