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Niger : l’impérialisme français en crise

Le 26 juillet dernier, un coup d’État militaire renverse le gouvernement de Mohammed Bazoum, et voit le général Abdourahmane Tiani être proclamé nouveau dirigeant du gouvernement de transition du Niger.

Les raisons évoquées sont multiples : les putschistes dénoncent les faillites sécuritaires du vieil Etat nigérien, les monopoles médiatiques français parlent pendant un temps d’un général égocentrique refusant de partir en retraite, des enjeux inter-impérialistes sont évoqués et la Russie est dénoncée comme ayant un rôle dans cette situation, par l’intermédiaire du groupe Wagner, ou du moins en tirant avantage.

En tant que journal révolutionnaire au sein de l’État français, l’aspect principal de la contradiction pour Nouvelle Epoque est l’attaque envers les intérêts des impérialistes français. En effet, dans ce pays opprimé semi-féodal et semi-colonial, et pour comprendre ces dites-attaques, il nous faut reprendre quelques éléments sur le Niger.

I/ Rappel de l’histoire coloniale et semi-coloniale récente du Niger

Ainsi, c’est en 1885 lors de la conférence de repartage de l’Afrique, dite conférence de Berlin, que la France obtient un large territoire, équivalent aux actuels Mali et Niger. En 1897, les forces françaises s’attellent à la tâche de rendre ce partage théorique réel, et lancent plusieurs expéditions visant à soumettre les peuples habitant sur ’’ses’’ terres. L’apogée de cette campagne se déroule en 1899-1900, avec 3 expéditions successives qui voient l’armée coloniale commettre de nombreuses exactions sur les populations civiles (l’une des plus célèbres étant le massacre du village de Birni-N’Konni par les troupes du capitaine Voulet, reconnue comme l’un des pires massacres commis au cours de la longue histoire coloniale française). En 1904, le territoire du Niger est créé, avec comme capitale Niamey.

En 1916-1917, la France (pourtant engagée en pleine guerre mondiale face à l’Allemagne) écrase le soulèvement des Touaregs.

Après 50 ans de domination, la France fait du Niger un pays indépendant en 1960. Cette indépendance de façade s’acquiert en échange de l’accès pour les impérialistes à l’exploitation des matières premières présentes sur le sol nigérien, condition pour la transition du Niger d’une colonie à une semi-colonie.

II/ Une semi-colonie aux ressources accaparées par des puissances étrangères

Le Niger, l’un des pays les plus pauvres du monde, voire le plus pauvre, est en effet riche en ressources naturelles : or, pétrole, zinc, et surtout uranium, dont il détient 8 % des réserves mondiales.

Depuis 50 ans, les impérialistes français exploitent très largement l’uranium nigérien, d’abord par le prisme du CEA (Commissariat à l’Energie Atomique), puis par l’intermédiaire d’Areva, aujourd’hui Orano. Depuis 2018, Orano est détenu à 90 % par l’État français lui-même après le rachat des parts d’Areva, pourtant en crise, pour presque 2 milliards d’euros.


Orano est ainsi l’une des 3 plus grosses compagnies d’exploitation d’uranium en compagnie du canadien Cameco et du kazakh Kazatomprom. Il convient ici de souligner que le Kazakhstan possède 12 % des réserves mondiales, le Canada 9 %, la France seulement 0,5 %. Un tiers de la production de Orano est extrait du Niger, et sur les 10 dernières années 20 % des 88 000 tonnes d’uranium importées en France proviennent du Niger, pour un chiffre d’affaire annuel de 4,72 milliards d’€ en 2021 (et un résultat net de « seulement » 678 millions d’€ la même année).

III/ Les enjeux militaires de l’Afrique de l’Ouest

Or ce coup d’État remet en question l’influence française au Niger, le pouvoir putschiste ayant remis au cœur des débats cette question : après avoir été expulsé du Mali et du Burkina Faso, le Niger constituait l’un des derniers vrais bastions français. Plus de 1 500 soldats français et américains étaient encore stationnés au Niger le 26 juillet, ainsi que des troupes allemandes.
La perte de contrôle sur ces territoires fragilise la guerre menée aux mouvements djihadistes au Sahel, et donc par extension remet sur la sellette les intérêts des monopoles impérialistes. L’American Security Council Foundation1 a récemment déclaré : « Le Niger est vital pour les efforts américains de lutte contre le terrorisme en Afrique. C’est l’un des rares pays de la région à avoir accepté d’héberger des bases de drones américaines et des centaines d’experts des forces spéciales américaines et de la logistique, impliqués dans des opérations antiterroristes contre Boko Haram et les affiliés de l’Etat islamique. »

Les organisations internationales créées et encouragées par la France en Afrique de l’Ouest pour perpétrer son contrôle une fois ses anciennes colonies ’’indépendantes’’ jouent aussi leur rôle dans ce conflit : la CEDEAO (Communauté Economiques des Etats d’Afrique de l’Ouest, ECOWAS en anglais) fait pression sur le gouvernement putschiste, le menaçant d’une intervention militaire pour rétablir le pouvoir élu. La CEDEAO, qui compte initialement 15 membres (16 avec la Mauritanie qui a quitté la communauté en 2000) est aujourd’hui réduite à 11, après avoir suspendu la Guinée, le Burkina Faso et le Mali, touchés par des coups d’État rejetant les intérêts impérialistes.

De la même façon, le vieil État français a prévenu qu’il se réservait le droit d’intervenir militairement en cas d’atteinte aux intérêts français ou à la sécurité de ses ressortissants (les travailleurs dans les grandes entreprises en somme).

Enfin, nous pouvons souligner l’appel à intervenir envoyé par le premier ministre par intérim à destination de l’État-major français dès le 26 juillet, confirmé par le gouvernement déchu après avoir été dénoncé par les putschistes.

IV/ Evolution et restructurations

Malgré les menaces répétées de la CEDEAO, l’intervention militaire promise n’a pas encore eu lieu, contrairement aux sanctions économiques qui ont été imposées au peuple nigérien très rapidement.

Nous pouvons comprendre cela simplement : les impérialistes ont pour le moment toujours la mainmise sur les ressources naturelles, ainsi que sur le territoire ouest-africain.

En effet, on voit par exemple Orano poursuivre ses opérations de minage sans être pour le moment inquiété, ou encore les impérialistes occidentaux maintenir leurs armées sur place, soi-disant en soutien de celles de la CEDEAO pour lutter contre le terrorisme et pour appuyer une éventuelle intervention militaire.

L’État français a joué son rôle d’épouvantail, menaçant le Niger d’un conflit ouvert, rejoint par la CEDEAO qui continue de jouer ce rôle. Pour autant, tant que la situation reste dans un statu quo tel que celui actuel, et que le seul véritable changement concerne la forme de gouvernance au Niger, il n’y a rien avec lequel les impérialistes occidentaux, français et surtout yankee, ne peuvent composer.

De plus, nous assistons depuis quelques temps à une évolution de la doctrine d’intervention française dans son pré-carré : les coups d’État au Mali et au Burkina Faso, et le sentiment anti-France qui agite les populations, n’offre plus un contexte favorable pour une intervention directe et physique, et il convient aux impérialistes métropolitains de trouver une nouvelle façon de peser sur la région pour préserver leurs intérêts, très largement mis à mal par la concurrence féroce des impérialistes chinois et russes, mais aussi allemands ou yankees.

Par la menace, les impérialistes yankee et français espèrent ainsi préserver leurs intérêts, et dissuader la nouvelle classe dirigeante de se tourner vers leurs concurrents russes notamment.

Il appartient aux masses nigériennes de lutter pour la libération nationale, contre les bourgeoisies compradores entièrement soumises aux impérialistes, afin de construire la révolution de Nouvelle Démocratie, premier pas vers la Révolution Socialiste dans les semi-colonies et les pays opprimés.

Comme l’expose l’article de la Cause du Peuple, en ce qui concerne les révolutionnaires au sein de l’État français, il nous appartient de combattre directement et frontalement l’impérialisme français, en soutien aux masses nigériennes, mais aussi pour affaiblir les impérialistes qui nous oppriment dans leurs propres frontières nationales, car c’est le cœur de l’internationalisme prolétarien et de la Révolution Prolétarienne Mondiale !

  1. L’American Security Council Foundation (ASCF) est un groupe anticommuniste de premier plan depuis les années 1950. L’organisation actuelle résulte d’une fusion entre l’ASCF et l’American Security Council (ASC) dans les années 1990. L’ASC était autrefois décrite comme « le cœur et l’âme du complexe militaro-industriel » en raison de son appui et de son appui aux plus grands entrepreneurs de la défense après la Seconde Guerre mondiale. Parmi les membres et sympathisants notables du groupe figurent Jeane Kirkpatrick, John S. Foster, Jr., William Van Cleave, Clare Booth Luce, les physiciens atomiques Edward Teller et Eugene Wigner, et Charles Burton Marshall. ↩︎
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